Interview de Mme Maria Harti, DG d'Idbus... C'est croustillant !
Maria Harti : "Ne pas lancer iDBUS aurait été étonnant"
Avec ses cars bleu et rose qui prendront la route le 23 juillet en direction de Londres, Bruxelles et Amsterdam au départ de Paris et Lille, la SNCF dit vouloir "réinventer" l'autocar. Parent pauvre du transport collectif, il revient sur le devant de la scène grâce à une nouvelle réglementation européenne dans laquelle s'est engouffrée le pionnier Eurolines, puis des challengers et enfin la SNCF, en invitée surprise. Explication et ambitions de Maria Harti, conceptrice des iDTGV et aujourd'hui, des iDBUS.
Pourquoi la SNCF s'intéresse-t-elle à l'autocar et depuis quand y réfléchit-elle ?
Maria Harti : La SNCF est une entreprise de transport collectif et l'autocar est un mode de transport à part entière, il était donc naturel qu'il fasse partie de l'éventail de nos offres. Ne pas le faire aurait été étonnant. Nous avons commencé à nous y intéresser depuis environ deux ans. En réalité depuis que nous avions lancé iDNIGHT (des TGV de nuit sans couchettes mais avec discothèque vers des destinations "jeunes", lancés en 2008 et disparus depuis, ndlr), ils ont attiré des clients que nous n'avions pas encore dans nos trains. Nous avions alors fait le parallèle avec des lignes par autocar internationales.
Au fur et a mesure que s'ouvrait le marché du car long courrier en Europe - début 2011, un règlement européen a autorisé l’ouverture du cabotage sur lignes européennes - nous nous sommes intéressés aux automobilistes. Notamment à ceux qui vivent dans les zones périurbaines des grandes agglomérations européennes, sont accrochés à leur voiture pour aller travailler, pour conduire leurs enfants à école et donc naturellement, pour faire des déplacements longue distance. Nous avons étudié leurs habitudes de voyage et avons découvert des gens qui ne prennent jamais le train et voyagent souvent vers les mêmes destinations. Ils ne sont pas tous sensibles au prix mais quand ils le sont, ils font alors appel au covoiturage ou par défaut, ils prennent l'autocar. Par défaut parce que l'autocar a une image plutôt vieillotte en Europe. Notre ambition, c'est donc de réinventer le voyage en car et faire en sorte qu'il redevienne un mode de transport à part entière pour que ces voyageurs puissent choisir entre la voiture ou l'autocar. Voire, entre l'autocar et le train.
Qu'y a t-il en commun entre les iDTGV et iDBUS ?
ID, c’est une nouvelle idée du voyage : du plaisir, du bon plan, de l'innovation. C’est en tout cas ce que nous ont répondu les personnes interrogées pour nos études : il y a une fort capital sympathie autour de la marque iD, suite au lancement de l'iDTGV.
Ce qu'ils ont de commun avec les iDBUS, c'est d'abord l'approche du client, tout tourne autour de ses besoins, et ceux des capitaines (les conducteurs des bus, ndlr), puisque ce sont eux qui vont être en relation avec les voyageurs. Pour qu'une relation de service réussisse, il faut que ce contact soit le meilleur possible. Nous avons construit l'offre iDTGV de la même façon : on part des besoins des individus et on créé les services adaptés. On ne répond pas seulement à des besoins de mobilité, ce qui est important, c'est que nos voyageurs aient du plaisir
Quel est le seuil de rentabilité d'iDBUS ?
Notre objectif c’est 75% de taux d’occupation, mais ceci n’est pas le seuil de rentabilité.
Et quel est ce seuil ?
Je ne l’ai pas.
iDBUS a déposé une demande d'autorisation pour la ligne Paris-Lille en autocar : vous êtes confiante sur son obtention alors qu'il existe une liaison TGV Paris-Lille exploitée par la SNCF et que parmi les critères retenus par l’Etat pour accorder une autorisation, l'équilibre économique des lignes ferroviaires existantes ne doit pas être menacé ?
C’est à l’Etat de juger et de nous dire si ça lui convient ou pas, et on s’adaptera.
Si le ministère des Transports accorde l’autorisation à la SNCF, il pourra difficilement la refuser à ses concurrents : une ou plusieurs lignes régulières par autocar, ça ne risque pas de grignoter une part de la clientèle du train ? Il y a suffisamment de demande pour ces deux modes de transport vers la même destination ?
Nous sommes convaincus qu’il y a encore des millions de voyageurs sur la route et qu’il y a un vrai marché pour iDBUS. C'est valable pour Paris-Lille, mais aussi pour Paris-Bruxelles, Amsterdam et Londres. La part de marché de la voiture sur toutes ces destinations dépasse les 50%. Et sur chaque marché, les volumes se chiffrent à plusieurs millions de passagers par an. On commence par le Nord de l’Europe, puis nous nous intéresserons à d’autres axes.
Quant à la concurrence car-train, j’ai l’intime conviction qu’avec la hausse des prix du pétrole, les transferts de la route vers le train seront très importants, on l’a vu en 2008. Et ces transferts vont se faire aussi vers l’autocar.
La hausse du prix du carburant a t-elle accéléré la prise de décision de la SNCF de se lancer sur les routes en autocar ?
Non, mais nous sommes convaincus que cette hausse a un impact énorme sur les automobilistes. Entre l’avion, la voiture et l’autocar, la voiture est la plus impactée par le prix des carburants, en évolution relative. Automatiquement, les automobilistes vont, soit réduire leur mobilité, soit se reporter vers d'autres modes de transport
Pourquoi Keolis, avec ses compétences en transport routier, n’a-t-il pas porté le projet iDBUS ? Il ne reviendra pas dans le giron de cette filiale dans laquelle la SNCF vient de monter au capital ?
Deux raisons à cela : d’une part, le business de Keolis, ce sont les collectivités locales pour du transport conventionné. D’autre part, le savoir-faire du développement d’une offre longue distance voyageurs, c’est SNCF-Voyages. C’est une question de métier et de savoir-faire. Nous, nous définissons le service, nous prenons tous les risques et nous lançons l’offre de transport. Connaître sa clientèle, c’est fondamental.
Par ailleurs, manager des conducteurs qui sont loin de leur base, qui découchent, et manager des conducteurs qui rentrent au dépôt tous les soirs, c’est très différent. Et chez SNCF-Voyages, nous avons aussi ce savoir-faire là.
Ce "partage des tâches" n’a-t-il pas créé de dissension en interne ?
Au contraire, les équipes de Keolis nous ont beaucoup aidé. Nous nous sommes beaucoup appuyés sur leur expertise technique pour iDBUS. C’était un super projet collectif.
Vous démarrez avec les règles actuelles du transport routier international, mais vos ambitions sont plus larges. En attendant la possibilité de relier des villes françaises par autocar si le projet de loi sort des oubliettes, iDBUS a déposé des demandes pour d'autres lignes : combien et vers quelles destinations ?
C’est confidentiel, nous sommes dans un marché très concurrentiel. Ce que je peux vous dire, c’est que l’on identifie d’abord les marchés, là où il y a beaucoup de flux de voitures, puis on étudie les gares. Dans certaines villes, on a imaginé des gares de rabattement quand il y a trop de trafic et que l’accès à la ville est bouché. Il faut des gares à coté des nœuds autoroutiers et connectés aux transports en commun.
Il y a maintenant des IDTGV, des iDBUS, bientôt du TGV low cost : ça ne fait pas beaucoup ?
Il existe une multitude de besoins de mobilité, ce qui est important c’est d’apporter la bonne réponse à chaque besoin. iDTGV, TGV low cost (projet sur lequel je ne travaille pas, c’est du ressort de SNCF-Voyages), iDBUS : nous devons nous diversifier et proposer une offre de mobilité la plus large possible.
Propos recueillis par Nathalie Arensonas et Robert Viennet