Le Point Wrote:Made in France : un tramway nommé Citadis
Nouvelle star des centres-villes, le tramway a pourtant bien failli disparaître. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les rails des trams sont démontés. But de l'opération ? Offrir un maximum d'espace à l'automobile. Elle y prospère jusqu'en 1973, date du premier choc pétrolier. En 1975, Marcel Cavaillé, secrétaire d'État aux Transports, lance un concours pour la réintroduction du tramway. Bordeaux, Grenoble, Nancy, Nice, Rouen, Strasbourg, Toulon et Toulouse sont invités à réfléchir sur la question. Mais c'est Nantes qui crée la surprise avec le lancement en 1985 du tramway français standard (TFS). Pensé et conçu par Alstom, le tramway moderne est né.
Le succès est immédiat. Dans la foulée, Grenoble et Strasbourg s'équipent à leur tour du TFS. "Trente ans après, le TFS est toujours aussi fiable", se félicite Emmanuel Bois, responsable du développement commercial d'Alstom Transport. Mais la fiabilité ne suffit pas. Le design du TFS pèche par la lourdeur de ses formes. La rupture s'opère en juillet 2000 avec l'inauguration du tramway de Montpellier. Plus que par son design moderne et épuré, le Citadis innove par son plancher plat, permettant un accès facilité à la rame. Une date qui marque le début d'un succès made in La Rochelle.
Un site de 300 000 m2
À quelques encablures du Vieux Port de La Rochelle, le site industriel d'Alstom s'étend sur plus de 300 000 m2. Là, 1 330 ingénieurs, ouvriers et membres du personnel administratif s'y croisent tous les jours. Pour pénétrer au coeur du sanctuaire, le visiteur doit montrer patte blanche. Contre une pièce d'identité, un badge d'accès lui est confié. Ce n'est pas tout. Il est aussi contraint de troquer ses chaussures de ville pour une paire dite "de sécurité" et de s'équiper d'une casquette de protection. Une fois le sas d'accueil franchi, des hangars à perte de vue s'offrent au visiteur. Entre deux bâtiments, dissimulé sous une tente, un bogie (un train de roulement) attend d'être assemblé.
Au rythme de une tous les quatre jours, cent trente rames sortent annuellement des chaînes de l'usine de La Rochelle. La fabrication se fait en grande partie à la main. Peu nombreuses, les machines ne servent qu'à soulever de lourdes charges. Le travail de l'homme n'a pas encore trouvé d'égal. Mme Poirier, forte d'une vingtaine d'années d'ancienneté, témoigne de ce savoir-faire inégalé. De ses mains agiles, elle assemble des centaines de fils électriques qui composeront une seule gaine. "Pour un mètre de tramway, cent mètres de câbles sont nécessaires", témoigne François Lenci, directeur de production du site. Au total, un Citadis renferme jusqu'à quatre kilomètres de câblage. Rien que ça.
Un tramway à la carte
Pour se déplacer dans l'usine, "le piéton" a l'obligation de suivre un parcours délimité par des marquages au sol. Et gare à celui qui s'aventurerait hors des clous ! Ici, les TGV et les tramways ont toujours la priorité. Long comme trois terrains de foot, le bâtiment de finition impressionne par son envergure, digne d'une cathédrale. À l'intérieur, des employés s'activent à assembler les différentes parties des rames. Pour fond sonore, un poste de radio diffuse les tubes des dernières années.
Sur l'un des châssis, l'inscription "DBA" interpelle. François Lenci n'en fait pas un secret d'État. Ces trois lettres sont bel et bien l'acronyme de Dubaï. L'émirat a plébiscité la technologie française pour sa première ligne de tramway. Sa conception traduit la modularité du Citadis. Contrairement au modèle parisien, le tramway de Dubaï ne sera pas équipé de pantographe. Il puisera son énergie via un troisième rail au sol. Autre particularité, le nez du tramway est entièrement personnalisable. Afin de le concevoir, les ingénieurs ont pour mission de s'inspirer de la culture locale : la flute de champagne à Reims, la tulipe à Istanbul ou le diamant à Dubaï... Ainsi, aucun Citadis ne ressemble à un autre.
L'aménagement intérieur des rames est laissé à la discrétion des clients. Encore immaculée, une rame du Citadis niçois rappelle le chic de la promenade des Anglais. En comparaison, le tramway parisien fait grise mine... Un dernier hangar abrite les modèles prêts à être livrés. Pour s'y aventurer, une seule condition : enfiler des chaussons de protection. Pas encore interdit d'accès, le poste de pilotage s'offre au premier venu. Immédiatement, une impression de simplicité en émane.
1 600 exemplaires vendus
Et c'est bien cette apparente simplicité qui séduit les municipalités. Depuis le lancement du Citadis, il y a quinze ans, 1 600 rames ont déjà été vendues. "Le Citadis évolue en permanence", assure Emmanuel Bois. Dernier-né de la gamme, le Citadis Compact s'adresse à des villes de taille intermédiaire (de 200 000 à 300 000 habitants). Avignon et Aubagne viennent d'y succomber. Dans la cité des Papes, le tramway aura pour objectif de décongestionner le centre-ville. Mais Emmanuel Bois l'assure, le tramway n'est pas l'ennemi de la voiture. "Le tramway est un outil de régulation. Il permet de partager et de redistribuer l'espace public."
Autre avantage et pas des moindres, la construction d'une ligne de tramway est moins onéreuse que celle d'une ligne de métro. Un atout non négligeable en ces temps de difficultés économiques. Avantage supplémentaire, Alstom porte une attention particulière à l'écologie. Cette préoccupation se traduit par l'utilisation de 80 % de matériaux recyclables. Ajoutés les uns aux autres, ces ingrédients font du Citadis un best-seller. Présent à Tunis, Brasilia, Ottawa, Buenos Aires, Jérusalem, Dublin ou encore Melbourne, le Citadis est l'une des meilleures vitrines de l'industrie française. Premier employeur du département, Alstom ne connaît pas la crise. Pour preuve, l'entreprise vient de vendre son tramway à Cuenca, la troisième ville de l'Équateur. Montant de l'opération : 70 millions d'euros. Pourvu que ça dure.