« Tout pour Annecy, rien pour nous » : des Chablaisiens s'indignent
La vieille rivalité entre Annéciens et Chablaisiens reste d'actualité. La vieille rivalité entre Annéciens et Chablaisiens reste d'actualité. Le Chablais a au moins réussi à obtenir le contournement de Thonon. Mais depuis ? Tout dépend désormais du choix du préfet - donc d'Annecy ?
Enquête sur un bien étrange ressentiment : fantasme ou réalité ?
Que ce soit dénoncé ouvertement ou glissé entre deux portes, le message est le même : si le Chablais reste enclavé, tenu à l'écart des décisions importantes ou dans l'incapacité de s'unir, c'est à cause d'un lobby annécien.Alors que, quelques années auparavant, on avait beau jeu d'accuser l'Etat, de plus en plus c'est le pôle de pouvoir que constitue Annecy qui est pointé du doigt.
Simple rivalité ou querelle plus profonde, elle ressurgit désormais sur les sujets les plus divers : désenclavement bien sûr, intercommunalité, grand stade, gens du voyage et même Jeux olympiques... Autant de situations que le Chablais a vécues comme des échecs - desquels les Annéciens pourraient être peu ou prou responsables. Certains ne sont donc pas loin de conclure : « Tout ça, c'est la faute à Annecy ! », comme on dit au carnaval de Thonon : « C'est la faute à Matagasse ! » Côté sportif, par exemple, bien des supporters locaux de l'ETG FC n'acceptent pas l'idée que les matchs à domicile de leur équipe leur échappent pour Annecy, voire pour un hypothétique grand stade à Seynod. Quant aux JO, plusieurs observateurs en sont persuadés, à tort ou à raison : « Les épreuves programmées dans le Chablais n'avaient aucune chance d'être acceptées. En faisant ce choix, les décideurs d'Annecy le savaient bien. » Et concernant les gens du voyage, Astrid Baud-Roche, présidente du Symagev, dénonçait dès 2010 les trop grandes disparités en matière d'aires d'accueil : « Le taux d'équipemenpour 1 000 habitants est de 0,47 à Annecy contre 1,70 à Thonon. » Un déséquilibre délibérément entretenu ?
« C'est faux !, se défend Bernard Accoyer, député-maire d'Annecy-le-Vieux et ancien président de l'Assemblée nationale.
Si le Chablais a plus de passages de caravanes, c'est uniquement pour des raisons géographiques. On oublie trop souvent que tous les étés, c'est aussi intenable à Annecy ; mais ici, les élus ne descendent pas dans la rue pour se plaindre... » L'explication se trouverait-elle là, dans ces mentalités différentes entre Chablais toujours bien rural et bassin annécien résolument citadin ?
Peut-être. Reste que ce ressentiment semble avoir des racines profondes et anciennes, et que ses manifestations réapparaissent régulièrement. Pour certains, c'est surtout une histoire de jalousie, un peu à la façon des provinciaux envieux de Paris.
« Il n'est pas question de vouloir affirmer une suprématie, estime M. Accoyer. C'est simplement qu'Annecy est la ville préfecture du département. » Conseiller général du canton du Biot, Denis Bouchet a une analyse un peu différente : « C'est aussi qu'Annecy a besoin d'exister, plus que nous, dans sa rivalité avec Chambéry : comme quoi on a toujours peur du voisin, de l'autre. Et quelque part, nous sommes sans doute un peu victimes de cette querelle. »
LES "LOBBIES" DU CONSEIL GÉNÉRALUn "lobby annécien" au Département ? Vice-président chablaisien du conseil général, Denis Bouchet peut légitimement juger de la prétendue partialité du cette assemblée, et pour lui, c'est un faux procès. « Bien sûr, reconnaît l'élu, on a vu l'inauguration du pont de Saint-Gervais ou les préparatifs du tunnel du Semnoz... » Un tunnel qui, par exemple pour Jean-Christophe Bernaz, mobiliserait des crédits qui auraient pu aider au désenclavement du Chablais. « Un discours un peu rapide », selon Jean Denais, maire de Thonon et ancien conseiller général : « La Haute-Savoie a encore les moyens de financer de gros investissement, au nord comme au sud. Après, c'est un problème de programmation. » M. Denais rappelle ainsi qu'au temps du contournement de Thonon, le plus important projet des vingt dernières années, des élus du Département parlaient de « lobby chablaisien » !
« Il ne faut pas opposer un projet à un autre, reprend M. Bouchet. Nous tâchons simplement d'anticiper. En cela, le conseil général se bat sur tous les fronts, y compris pour ce qui ne relève pas de ses compétences, comme les Navibus ou le Ceva. » Enfin, M. Bouchet précise qu'en matière de dotations, les cantons du Chablais ont reçu en 2012 quelque 4 millions d'euros, sur les 18 millions alloués par le Département, et que ce montant sera en hausse pour 2013 : « Les Chablaisiens sont donc même un peu privilégiés. »
Transports : le Chablais, cinquième roue du carrosseS'il est un domaine où les Chablaisiens ont l'impression d'être ignorés, méprisés voire spoliés, c'est bien celui des transports. « Lésés... avec un grand B », préfère en rire Jean-Christophe Bernaz, président de l'association "Oui au désenclavement".
Au-delà de la boutade, il le rappelle quand même : « Les Annéciens sont parvenus à s'unir pour gagner une demi-heure en train depuis Paris et être encore mieux desservis, alors que nous galérons toujours pour aller à Bellegarde. » Bernard Accoyer y oppose que « ce sont bien les élus locaux qui ont fait le choix de financer de gros travaux au nord, avec le Ceva, à hauteur de 234 millions d'euros, plutôt que le désenclavement : le sud du département n'y est pour rien. » Un Ceva que, du côté du conseil général, Denis Bouchet justifie facilement : « Il servira aussi aux Chablaisiens. » Même chose pour la route, selon M. Bernaz : « Les Annéciens ont réussi à prendre beaucoup d'argent pour financer leur autoroute jusqu'à Genève, alors que c'est un dossier beaucoup plus récent que notre désenclavement. » Et de pointer ce risque : « Avec cette autoroute, nos frontaliers vont être tentés d'habiter sur Annecy, ce qui se traduira par une perte de fonds genevois pour le Chablais.
» « C'est un peu fort de café !, s'insurge Bernard Accoyer. L'autoroute Liane et l'A400 ont reçu leur déclaration d'utilité publique (DUP) en même temps, en 1995. Il se trouve que l'A400 a été annulée par le Conseil d’État ; mais en ce qui concerne le projet Liane, l'ouvrage n'a pas coûté un centime d'argent public. Et c'est sous mon impulsion que les pouvoirs publics ont essayé de trouver un nouveau financement, avec une DUP autorisant un péage, pour le désenclavement. Je suis d'ailleurs l'élu hors Chablais qui s'est le plus exprimé pour dénoncer cette situation inacceptable qu'est l'enclavement. » Quant à Denis Bouchet, il explique que le président Monteil s'implique lui aussi dans la cause du désenclavement : « Il s'est rendu au ministère, il se bat pour le raccordement entre l'A40 et les Chasseurs... Le conseil général se bouge, le chantier pour Chasseurs-Machilly a commencé, et pour Machilly-Thonon nous n'attendons plus que le feu vert de l’État. » Et de souligner aussi le rôle du Département dans la réalisation du contournement de Thonon, « à hauteur de 80 millions d'euros, et alors que ce n'était pas notre rôle. » « Nous ne sommes mêmes pas propriétaires de tous les terrains pour aller jusqu'à Saint-Cergues, rétorque M. Bernaz, alors que dans son budget, le conseil général a déjà voté les acquisitions en vue du tunnel du Semnoz ! » Encore un projet annécien préféré au désenclavement du Chablais ? « Pour le Semnoz, c'est juste une anticipation, répond M. Bouchet. Les deux projets devront se faire. »
La guerre des grandes agglomérationsCe sentiment de ras-le-bol contre "l'ennemi annécien" a récemment connu son apogée lors des réunions en vue du redécoupage des intercommunalités, à l'issue desquelles le Chablais n'est pas parvenu à réaliser une grande communauté d'agglomération autour de Thonon.
« Annecy n'a pas envie que se fassent de grandes choses dans le Chablais, estime Jean-Pierre Fillion, président du Siac.
Pour s'en persuader, il n'y avait qu'à entendre le plaidoyer de Bernard Accoyer contre nous, juste avant le vote. » Explication : pas de grande agglomération autour de Thonon, ce sera moins de dotations pour les Chablaisiens, « et donc plus de subventions possibles pour l'agglomération d'Annecy, et pour celle - disons les choses jusqu'au bout - d'Annemasse ». Le président du Siac a d'ailleurs fait chiffrer le montant de la dotation perdue : 3 685 954 euros.
« Les prises de position ont eu le mérite de la clarté, confirme Jean Denais : l'agglomération d'Annecy n'avait aucun intérêt à une grande agglomération chablaisienne. » Là encore pour des raisons économiques : « L'argent public étant de plus en plus rare, il existe de fait une compétition pour certains investissements. » Pour autant, M. Denais relativise : « Les querelles de clocher, c'est d'un autre temps. Il faut raisonner au niveau départemental. Un grand investissement quelque part crée une dynamique d'ensemble. » Mis en cause, Bernard Accoyer justifie son opposition au projet de grande agglomération chablaisienne : « Quand il faut une heure trente pour se rendre d'un côté à l'autre d'une intercommunalité, est-elle bien raisonnable ? Pour cette gigantesque agglomération, il faudrait une nouvelle structure, avec de nouveaux frais de fonctionnement, et il n'est pas certain du tout qu'elle aurait rendu de meilleurs services à la population. Quand on s'unit, c'est pour réaliser des économies, sinon il ne faut pas le faire. » Et d'appuyer là où ça fait mal : « Faire une intercommunalité avec des gens qui ne veulent pas se marier, cela ne marchera jamais. » On en revient donc aux questions de désunion entre Chablaisiens. Toutefois, un représentant du Chablais aux réunions de travail sur les intercommunalités confiait : « En fait, Annecy a peur d'un Chablais qui serait uni, parce que ce Chablais uni serait fort. » Une manière comme une autre de se consoler ?
La faute... aux Chablaisiens eux-mêmes ?« Je le fais remarquer sans méchanceté, mais quand ça ne va pas, on a toujours le réflexe de se dire que ce n'est pas de sa faute mais de celle du voisin. » Ce point de vue de Bernard Accoyer trouve des échos y compris auprès de Chablaisiens. Ainsi Jean-Pierre Fillion, président du Siac, reconnaît que « si le Chablais avait été plus solidaire, il aurait pu réaliser sa grande intercommunalité.
Annecy est assez "anti-Chablais", c'est vrai, mais là, les torts sont partagés. » Jean-Christophe Bernaz analyse le phénomène sans concession : « Le Chablais montre sa désunion à l'ensemble du territoire, donc aux Annéciens. Nous sommes la risée à Annecy - ça leur va très bien - et jusqu'à Paris, où on nous montre du doigt. » Pourtant, les Annéciens eux aussi connaissent des dissensions. « Oui, ils se battent en coulisses, mais ils apparaissent unis aux yeux des autres. Ce n'est pas comme pour nos guerres des chefs dans le Chablais, juste pour être sur la photo. L'avantage d'Annecy, c'est que pour leurs décideurs, ils n'ont que des leaders, alors que nous, nous n'avons que des deuxièmes couteaux. Mais on a les élus qu'on mérite. » Ainsi, les Annéciens applaudiraient des deux mains aux querelles chablaisiennes... et en engrangeraient les résultats. « C'est facile, et ils ont bien raison de le faire ! Au fond, ils sont bien plus intelligents que nous. » Et pourtant, comme le rappelle Jean Denais, les Chablaisiens sont capables de s'unir en certaines occasions. « Par exemple pour défendre nos services publics, comme le tribunal de Thonon ou les Hôpitaux du Léman. » Mais c'est sans doute insuffisant.