par rail45 » 18 Déc 2015 0:59
Bonjour
J'ai bien connu André Jacquot qui était un grand ami de mon père, Jacques BAZIN.
Il ne m'a jamais parlé de ce fameux Louis d'Or de l'amabilité mais il m'a souvent parlé de sa carrière professionnelle et notamment de ses années en tant que contrôleur de route sur l'Est au roulement des Trans Europ Express.
André Jacquot est rentré à la SNCF avec son Certificat d'Etudes, en tant que porteur de bagages à la gare de Pontault-Combault.
Il a ensuite été affecté à la comptabilité dans les gares et si mes souvenirs sont bons il a été en poste à Noisy-le-Sec.
Puis il est devenu contrôleur.
Il m'avait parlé des circonstances qui l'ont amené à intégrer le roulement des trains les plus prestigieux de l'Est, dont le fameux TEE Arbalète.
Un jour, alors qu'il était accompagné de son chef, il effectuait sa mission de contrôle dans un train.
Il y avait un voyageur anglais à bord qui lui demanda un renseignement.
André Jacquot lui répondit avec les quelques mots d'anglais basique qu'il connaissait.
Son chef lui dit alors "André, tu parles anglais !"
- Non, non, je connais juste quelques mots.
- Si, si, tu parles anglais !
- Mais non !
- Mais si ! Je vais demander à ce que l'on t'affecte au roulement des TEE.
Ce qui fut fait et voilà comment André Jacquot devint contrôleur sur l'Arbalète.
Il évoquait souvent cette tournée qui consistait à partir de Paris-Est le soir et à accompagner l'Arbalète jusqu'à Bâle.
Il commençait par effectuer les opérations de contrôle à bord de la RGP, puis il n'hésitait pas à aider les serveurs de la CIWL en cas de coup de feu pour le service de restauration à la place, avant d'aller prendre les commandes de la RGP afin que le conducteur puisse aussi se restaurer !
Après un découché à Bâle, il repartait le lendemain matin vers Luxembourg avec le TEE Edelweiss, puis en fin d'après-midi, il rentrait sur Paris avec le rapide L'Européen.
Parmi les nombreuses anecdotes qu'il aimait raconter quand on lui rendait visite chez lui à Foëcy dans le Cher, André Jacquot citait par exemple le jour où sur un train rapide au départ de Bâle, les douaniers français sont venus le trouver pour savoir s'il consentait à accepter une collègue en deuxième classe, malgré sa carte de circulation valable uniquement en troisième classe, afin qu'elle puisse rentrer plus tôt chez elle à Mulhouse. Il m'a dit : "Non seulement je l'ai acceptée à bord, mais en plus je l'ai installée en première classe ! De ce jour là, les douaniers de Bâle ne m'ont plus jamais rien demandé. Ils ont du se passer le mot à propos de ce petit chauve qui avait si gentiment aidé leur collègue."
Une autre fois, il y avait eu un problème sur une RGP dans le sens Bâle - Paris. A Vesoul, au lieu de demander le secours comme on le ferait maintenant, le conducteur a cherché à se dépanner lui même et en fouillant dans les voies de débord a fini par trouver du fil de fer qui lui permettrait d'attacher la pièce baladeuse qui posait problème. Puis, tandis que le conducteur était dans le compartiment moteur en train de trifouiller la mécanique, André Jacquot était aux commandes de l'autorail et le conducteur est réapparu dans la cabine de conduite juste au moment où notre contrôleur un peu particulier serrait les freins pour effectuer l'arrêt en gare de Chaumont. Le lendemain, son chef est venu le voir en lui disant que compte-tenu de la panne qui était survenue, il savait très bien qu'il avait pris les commandes de l'autorail. Mais comme tout s'était bien passé car André Jacquot connaissait la signalisation ferroviaire par coeur et que cela avait permis de n'avoir qu'un faible retard à l'arrivée, il ne dirait rien et il modifierait son propre rapport de manière à ce qu'en haut lieu personne ne puisse se douter de rien.
André Jacquot évoquait aussi parfois la Grande Duchesse Charlotte de Luxembourg, au caractère très aimable, ou encore Robert Schumann, personnage très discret qui voulait surtout être tranquille dans son compartiment.
Après ses années en tant que contrôleur, je sais qu'André Jacquot est monté en grade et a lui même dirigé une équipe de contrôle à Metz.
Puis au fil des années il a fait une belle carrière qui s'est terminée à la direction générale de la SNCF à Saint-Lazare où il s'occupait de l'élaboration des règlements de sécurité.
A l'occasion, il prenait plaisir à reprendre du service en tant qu'agent de train, notamment les jours de grève où il allait sur la banlieue Saint-Lazare sur la ligne de Versailles-Rive-Droite dans les rames Standard, en s'amusant à descendre sur le quai à chaque arrêt afin d'annoncer le nom de la gare d'une voix de stentor.
André Jacquot a passé sa retraite dans sa maison de Foëcy, faisant des aller-retours réguliers vers Paris afin d'aller fouiller les documents des Archives Nationales, avant de s'occuper de celles du Monde du Travail à Roubaix.
Là encore, il ne perdait pas ses bonnes habitudes.
Ainsi, à Paris, au restaurant Le Connétable, il y avait le menu pour les clients et le menu spécial pour André Jacquot. Un jour, alors que le cuisinier du restaurant avait rendu son tablier en laissant tomber la patronne juste au moment du déjeuner, André Jacquot a pris les choses en mains. Il a envoyé la patronne aux fourneaux et il a assuré tout seul le service en salle ! Il assurait aussi parfois du soutien scolaire pour la fille de la restauratrice et à l'hôtel Ibis de Roubaix il passait également assez régulièrement derrière le comptoir pour donner un coup de main en cas d'affluence dans la salle des petits déjeuners.
Dans sa maison de Foëcy, toute sa documentation était rigoureusement répertoriée et rangée dans une bibliothèque faite sur mesures et on pouvait passer des heures à discuter tout en faisant marcher la photocopieuse.
Il avait un dossier pour chaque ligne ferroviaire et toutes ses notes étaient soit écrites à la main, soit dactylographiées avec une antique machine à écrire à rubans. Il avait bien essayé de se mettre à l'informatique. Mais malgré les cours que mon frère lui avait alors prodigués, il était resté totalement réfractaire à cette technique. Et c'est pourquoi jusqu'à son décès, les éditeurs ferroviaires ont toujours reçu des manuscrits comme au bon vieux temps, ce qui les obligeaient ensuite à passer beaucoup de temps pour les mettre en forme. Mais comme il était toujours d'une précision et d'une exactitude extrême, on lui pardonnait bien volontiers.
Dernière anecdotes :
Chez lui à Foëcy, il y avait à l'extérieur de la maison des signaux ferroviaires mécaniques. Aussi, un jour, alors que ses voisins avaient invité des amis à déjeuner, ils ont vu ces signaux et ils ont demandé s'il y avait autrefois une voie ferrée qui passait à cet endroit...
André Jacquot, toujours prêt à aider les autres, n'hésitait pas à s'occuper des moutons que possédaient un autre voisin agriculteur, quand ce dernier était absent. Une fois, ils s'étaient sauvés de leur enclos et il a dû leur courir après dans le village pour les rattraper !
L'abri de jardin était aménagé avec une banquette d'autorail Picasso et deux sièges de voitures TEE Mistral 56.
La légende voulait qu'à la gare de Vierzon, il suffisait de dire à un chauffeur de taxi "emmenez-moi chez Monsieur Jacquot", pour qu'il aille directement à Foëcy, sans avoir besoin de plus de précisions sur l'adresse.
Enfin, lorsqu'on lui rendait visite, au moment du départ, André Jacquot sortait sa casquette et sa palette et on ne devait démarrer sa voiture qu'une fois les gestes réglementaires accomplis !
Amitiés
Et merci de m'avoir indirectement rappelé tant de bons souvenirs, lorsque j'effectuais pratiquement chaque année un pèlerinage à Foëcy, généralement agrémenté par un bon repas dans un restaurant de la région.
Pierre