Le trafic SNCF ne tient qu’à un fil de cuivre
Le trafic TGV a été fortement perturbé, ce jeudi, par des tentatives de vol de cuivre entre Paris et le Sud-Est de la France.Pour la deuxième fois cette année, le trafic TGV a été fortement perturbé, ce jeudi, par des tentatives de vol de cuivre entre Paris et le Sud-Est de la France. De nombreux trains ont connu jusqu’à quatre heures de retard, certains ayant même dû être annulés, provoquant le chaos à bord des rames et dans les gares. Un second vol de même nature a touché une installation de remplacement dans le nord de Paris, perturbant également le fonctionnement de la ligne “classique”, où des TGV avaient été détournés. Au total, plusieurs centaines de mètres de câbles ont été sectionnés, relève la SNCF, qui chiffre à 1,5 million d’euros le coût des dégâts matériels et des désagréments pour les passagers. Le trafic est retourné à la normale hier matin.
“Petites” causes, grands effetsLes voleurs ont fait fondre les gaines de protection d’un câble à la hauteur de Limeil-Brévannes, dans le Val-de-Marne. Ils pensaient trouver du cuivre, ils sont tombés sur de la fibre optique, sans valeur pour eux. Mais le mal était fait : la ligne de la SNCF est dotée d’une commande centralisée qui permet de manœuvrer les aiguillages depuis un endroit unique dans la région parisienne. Cette commande étant rompue, toute la circulation a été désorganisée – et dans un premier temps paralysée –, d’autant que la signalisation a été coupée par la même occasion. Et quand il n’y a plus de signaux à la SNCF, par mesure de sécurité, les trains s’arrêtent. 30 000 personnes étaient dans les TGV touchés par les perturbations, jeudi. Le 26 juillet dernier, une tentative de vol de même nature dans l’Yonne avait mis en difficulté 60 000 voyageurs.
Un phénomène européenLes vols de cuivre ont commencé depuis déjà une vingtaine d’années en Italie, pays précurseur dans le domaine. Après la disparition de 900 m de câbles entre Rome et l’aéroport de Fiumicino, en 2010, un réseau de trafiquants d’origine Rom a pu être démantelé. Il alimentait ses propres fonderies clandestines. Les vols de cuivre touchent également la Belgique, où le réseau ferroviaire est très dense, l’Espagne, l’Allemagne, la Grande-Bretagne. “Les vols de câbles sont notre deuxième priorité après les risques d’attentats terroristes. Les perturbations et les problèmes qu’ils provoquent sont immenses”, explique Eamonn Caroll, superintendant en chef de la British Transport Police.
De gros moyensCeux qui s’attaquent aux câbles de la SNCF sont loin d’être des amateurs. En juillet dernier ils s’étaient servi d’une pelleteuse pour déterrer la conduite profondément enfouie de la SNCF. Ils n’avaient trouvé, déjà, que des fibres optiques et non du cuivre.
En 2006, des malfaiteurs ont volé une caténaire sous tension (25 000 volts !) sur une voie de service de la gare de Caudry, dans le Nord. Ce faisant, ils ont déséquilibré le réglage de la caténaire de la voie principale qui a été arrachée par un train de marchandises. D’autres vols de caténaire sous tension ont eu lieu en 2006 sur le tram touristique de la banlieue de Lille et à Saint-Raphaël, dans le Var.
Le réseau ferroviaire n’est pas le seul viséLes objets funéraires dans les cimetières – comme jeudi à Monnerville dans l’Essonne – les fils téléphoniques, les dépôts de matériaux sont particulièrement visés. En mai 2010, des voleurs sont allé jusqu’à sectionner la conduite de gaz d’un immeuble du XX e arrondissement de Paris, provoquant une explosion qui n’a heureusement pas fait de victime.
Comment la SNCF lutte contre les volsSi certains vols ou tentatives ont des effets particulièrement spectaculaires et néfastes, la SNCF remarque cependant que cette délinquance a été considérablement réduite ces derniers mois.
Après avoir atteint 3300 faits en 2010 (+180% par rapport à 2009) – une évolution parallèle au cours du cuivre – les vols ou tentatives de vol de métaux ont reculé de 7 % en 2011, et la baisse s’est accélérée cette année.
1026 faits ont été recensés au premier semestre 2012, soit une diminution de 49 % par rapport à la même période en 2011, souligne la SNCF, qui y voit les effets de son plan de lutte contre le vol de métaux lancé fin 2011.
La surveillance des 30000 kilomètres de lignes a été renforcée – la majorité des vols ont lieu sur des installations en exploitation. Ces dernières années, 40 millions d’euros ont été investis dans la sécurisation des voies, et 300 agents supplémentaires affectés pour assurer des tournées de surveillance, indique la SNCF. Certains points sont ainsi particulièrement surveillés à l’occasion des grands départs, selon l’entreprise, qui déploie aussi une batterie d’outils high-tech pour lutter contre le vol de câbles de cuivre.
Depuis 2011, année de la signature d’une convention avec la direction générale de la gendarmerie nationale, des hélicoptères équipés de vision nocturne surveillent les voies. 150 heures de vol ont déjà été effectuées cette année (contre 100 en 2011). Certains câbles sont également équipés de puces afin de permettre leur géolocalisation. Sur les lignes nouvelles (TGV), des points d’ancrage des câbles sont expérimentés afin d’éviter qu’ils ne puissent être tirés sur des grandes longueurs. De nouvelles alarmes mobiles avec des caméras ont été installées sur les équipements des voies. Selon la SNCF, l’un de ces dispositifs aurait d’ailleurs permis de procéder à des interpellations.
2000 kilomètres de câbles en cuivre ont déjà été remplacés par des câbles à fibres optiques, indique Réseau ferré de France. En 2010, les vols de métaux ont représenté un préjudice de 30 millions d’euros pour le gestionnaire de l’infrastructure.
“Il y a peut-être des ferrailleurs véreux…”“Nous sommes très occupés”. “Nous n’avons pas le temps”. “Nous ne parlons pas aux journalistes”. “Nous ne souhaitons pas communiquer”. Sur la vingtaine de ferrailleurs, gros ou petits, installés en région parisienne, rares sont ceux qui acceptent d’évoquer le commerce du cuivre. Un seul a voulu témoigner, anonymement. “Parce que je ferme ma boîte, j’arrête”, se justifie-t-il. Michel est une petite main dans l’achat et vente de métaux. En fonction de l’activité, il travaille seul ou avec deux ou trois employés. Lorsqu’il manque de place sur son site, en banlieue, il stocke chez des collègues. “C’est un milieu fermé, on se connaît tous”, précise-t-il. La flambée des cours du cuivre, il affirme qu’elle ne lui a guère profité. “Je fais 20 à 30 centimes de marge par kilo. Lorsque je vends un kilo de cuivre à 5 euros à la fonderie, c’est bien le maximum”, détaille-t-il. “J’achète à des petites entreprises, à des particuliers et aussi à des ouvriers qui veulent se faire un peu de bénéfice après un chantier en revendant des morceaux de fils de cuivre récupérés. Mais, je suis complètement clair. J’achète sur présentation d‘une pièce d’identité et je paye par chèque”. Pas de quoi s’enrichir, selon lui. “Pour faire une tonne de cuivre, il en faut des heures de boulot ! Il faut dénuder les fils et, maintenant, nous n’avons plus le droit de les brûler. Il faut être là à 7 heures tous les matins. On vivote. Il y a trop de charges et pas assez de bénéfices…”
Des réseaux de l’EstSi tous les professionnels du recyclage pratiquaient comme le dit Michel, les réseaux de voleurs de cuivre auraient sans doute du mal à écouler le produit de leurs larcins. Un sujet tabou dans la profession. “Les voleurs de cuivre sont des gens des pays de l’Est, bien organisés”, croit savoir le ferrailleur. “Sinon, ils ne pourraient pas s’en sortir. Certains câbles de la SNCF contiennent des puces électroniques. Un ferrailleur honnête n’y touche pas. Pas moi en tout cas ! Mais, il y a peut-être des ferrailleurs véreux…” Autre hypothèse émise par Michel : l’exportation, en douce, des cargaisons frauduleuses vers la Roumanie. “Pour des professionnels installés, comme moi, le jeu n’en vaut pas la chandelle”, insiste-t-il. “Qui prendrait le risque de se faire fermer son chantier et de se retrouver au tribunal pour un bénéfice de 400 euros ?”.
Visiblement, tous n’ont pas ces scrupules.