Procès du drame d'Allinges : « Aujourd’hui, les cicatrices ne sont pas refermées »
19H30. Le président lève la séance. Les auditions des victimes reprendront demain.
19H20 : « Aujourd’hui, les cicatrices ne sont pas refermées ». Sarah Bosson est entourée de ses parents. Elle parle avec pudeur et elle aussi tient à dire au chauffeur qu’elle ne lui en veut pas. La maman évoque un grand sentiment de culpabilité envers les autres familles, on est là pour eux. Le père parle de ce moment d’angoisse terrible : « On m’avait dit que ma fille n’avait pas été blessée. Elle devait être dans le car qui ramenait les enfants à Allinges. Je suis monté et je ne l’ai pas trouvée. J’ai eu peur. » Finalement, sa fille est arrivée à bord d’une ambulance, elle n’avait pas pu prendre place dans le car. « Aujourd’hui, les cicatrices ne sont pas refermées » conclut-il.
19H15 : Un père s’énerve. La maman de Chloé Baptendier témoigne, « Ma fille a un fort sentiment de culpabilité. Elle avait interverti sa place avec Linda Hamdouche qui a été très grièvement blessée ». Chloé est toujours suivie psychologiquement. La mère se prépare à lire l’intervention de sa fille qui n’a pas souhaité être là, quand le père intervient brutalement se penchant vers les représentants de RFF et de la SNCF. « J’aimerais que la personne morale écoute, au lieu de préparer ses dossiers. »
19 HEURES : Jean-Jacques Prost est à nouveau présent dans la salle d’audience. Son absence n’aura duré qu’une demi-heure.
18H45 : Jean-Jacques Prost a fait un malaise. La suspension d’audience était liée au malaise de Jean-Jacques Prost, le chauffeur du bus scolaire. A la reprise, le président Deparis a révélé la raison et indiqué « Monsieur Prost est dispensé de la fin de journée, en espérant qu’il puisse être présent demain ».
18H30 - L’audience est levée pour 15 minutes.
18H15 : « Je n’ai pas eu le réflexe de me lever pour aller à l’avant du car ». A l’image de Marion Fritsch qui, installée au milieu du bus, n’a pas pu bouger quand le train est arrivé, Tristan Mayade n’a pas eu le réflexe d’avancer. « Alors qu’Iris Héraclide, qui était à côté de moi, s’est levée pour aller à l’avant. » Tristan précise qu’il est porte-parole des jeunes et évoque les actions de prévention, d’événements sportifs et culturels organisés. « Pour faire prendre conscience aux jeunes qu’il y a des dangers et qu’il faut être prudent. » Et de souligner que l’association : « a aidé bon nombre d’entre nous à se reconstruire ».
« Aujourd’hui, on est sensible, on a la crainte d’utiliser les transports en commun, de repasser sur un passage à niveau. On se dit que d’un instant à l’autre on peut partir, sans dire adieu à ses proches ».
Son avocat, Me Christophe Arminjon, s’adresse à Tristan et évoque l’entretien avec le psychologue qu’il a consulté avant le procès. Il s’agit de parler du chauffeur de car. Tristan développe : « Oui, je pense que dans une situation pareille, sur des infrastructures comme celles d’Allinges, on est facilement victime ». Il revient aussi sur un sentiment de culpabilité qu’il nourrit à propos de son professeur Éric Jandin. « Je pense qu’on aurait pu détecter qu’il n’allait pas bien. C’était un prof qui donnait aux élèves l’envie de réussir. De découvrir l’histoire. Sa place serait aujourd’hui, tout comme les 7 autres jeunes, parmi nous. »
Entendu à son tour, Manuel Perroux rejoint Tristan considérant que le chauffeur du car était lui aussi une victime, « responsable, mais victime ». Lui a perdu sa copine d’enfance Léa Duchamp, « et je m’en veux de ne pas avoir pu répondre aux interrogations de ses parents, le soir de l’accident. »
17H20 : Margaux : « Je suis venue de Toulon et Monsieur Pépy n’est pas là ». Margaux Delcroix s’avance seule. « On reproche de ne pas avoir le bon réflexe, mais quand le train arrive, quel réflexe peut-on avoir ? Quand j’ai vu le train, tout le monde allait à l’avant, moi je me suis rassise. » Elle parle d’une voix ténue de l’absence d’information après l’accident. « Je me rappelle d’une fille qui appelait son amie en criant « elle est où ? ».
«Moi, je n'en veux pas à M. Prost ; ça fait 5 ans que j’attends pour le lui dire. Quant à RFF et la SNCF, j’attends qu’ils assument leurs responsabilités. C’est une question d’argent ! 20000 euros pour le platelage et ils attendent ! Quand ils ne peuvent pas répondre à la barre aux questions, c’est très décevant. M Prost, lui, a répondu par "oui" ou "non". » Margaux parle de la perte de ses trois amies d’enfance. J’ai vu un psychologue pour avancer et j’ai changé de collège, je n’ai pas pu tenir. Aujourd’hui, j’habite Toulon, je suis militaire dans la Marine nationale ». La jeune fille n’oublie pas d’évoquer l’absence de Guillaume Pépy : « Moi, je suis venue de Toulon, et lui il n’est pas là ».
17 HEURES : Les familles se succèdent à la barre. La famille Brandt est à la barre. Cédric est entouré de ses parents, il est interrogé par la substitut du procureur. « Lors de votre audition, vous avez été formel et avez été affirmatif sur le non fonctionnement des signaux lumineux, confirmez-vous aujourd’hui ? ». Cédric confirme.
Suit Charlotte Bron entourée de ses proches. « Il y aurait tellement à dire », lance la jeune fille avec difficulté. « Je suis très anxieuse, j’ai du mal. » Sur les faits « On reste un groupe. Cet accident nous a reliés. » Le président Deparis l’interroge sur des réticences ou blocages éventuels. Charlotte répond par la négative. Sa maman parle de l’impact sur la famille, les frères et sœurs d’un drame « qui ne s’oubliera jamais ».
16H25 : « La justice a un rôle dans la prévention », lance le secrétaire général de la Fenvac. L’audience reprend avec l’intervention de Stéphane Gicquel, secrétaire général de fédération nationale des victimes d’accidents collectifs (Fenvac), à laquelle adhère l’association « Sourires des anges ». « Nous avons rencontré les familles le 14 juin 2008. A chaque accident, vous avez la même scénographie, déplacement des ministres, du président de la SNCF ; des plans sont lancés et on ne sait pas bien ce qu’ils deviennent. Notre fédération est partie civile pour accompagner les familles, mais aussi car la justice a un rôle dans la prévention. Il y a aujourd’hui un vrai problème avec les passages à niveau. Voyez celui d’Allinges, comme d’autres lieux d’accidents, il n’était pas classé préoccupant. »
Et d’assurer au terme de son intervention : « Je ne comprends pas l’absence Monsieur Pépy, les familles ne voulaient pas se payer le patron de la SNCF, mais l’entendre, et comprendre. Cette entreprise et RFF sont impliquées dans la mort de leurs enfants. Allinges, c’est une catastrophe. On retrouve les mêmes mécanismes de l’accident collectif. On a l’horreur, des scènes de guerre. C’est une rupture du lien de confiance, et donc du lien social. Il faut le rétablir ». Pour le secrétaire général de la Fenvac, la venue du président de la SNCF en est un moyen.
15H45 : « Je me disais, ce n’est pas concevable, je vais me réveiller. Et non… ». L’audition des rescapés entourés de leurs parents se poursuit. Certain comme Alexis de Lenzbourg, dont l’état psychologique n’est pas consolidé 5 ans après les faits. « Cela a été quelque chose de très dur », lâche difficilement Alexis qui parle toujours d’une « impression de pas être compris. On voit des gens s'inquiéter pour des choses sans intérêt» . Sur les faits, il ne souhaite pas revenir dessus : « On a tous une vision différente. Pour moi, quand j’étais dans le bus, j’écoutais de la musique. Au passage à niveau, il y a eu un moment de doute et d’incertitude, mais je n’y faisais pas attention, sauf au bruit et au mouvement. Du coup, j’ai vu le bus, j’ai essayé d’avancer, et ensuite c’est le trou noir. On m’a conduit dans une maison, j’ai repris conscience dans une salle de bain en train de me débarbouiller, Valentin était à côté de moi. Il m’a dit que j’étais bien amoché. Ensuite j’ai réalisé, et j’ai demandé un téléphone pour appeler mes parents. J’ai été évacué sur Ambilly et j’ai dû passer deux heures à me faire enlever des bouts de verre. En même temps, je me disais : ce n’est pas concevable, je vais me réveiller. Et non. »
Valentin Monvoignard prend la parole. Lui a été plus légèrement blessé, mais a souffert de plusieurs traumatismes dont un crânien avec 20 points de suture. « Je n’ai jamais parlé à un psychologue, je n’y arrive pas. » Valentin parle en revanche de ses cauchemars « durant 6 mois ». « C’est le lendemain aux infos qu’on a appris qu’il y avait des morts. » Sur l’accident, il dit se souvenir de la barrière qui frotte le côté du bus, puis le train et je me suis réveillé dans la salle de bain. Quant à son état de santé, il est mentionné encore un syndrome post-traumatique. Le jeune homme doit subir encore des examens.
La maman de Chloé Armbrust apporte sa pierre à l’édifice de cette quête de vérité. Sa fille n’a pas souhaité témoigner. « Je suis arrivée très tôt sur les lieux de l’accident. En voyant le car, je croyais à peine que Chloé puisse être vivante ».
15H30 : Mathilde François : « La SNCF et RFF auraient pu éviter ça, je suis en colère ». Mathilde François témoigne, non pas sur ses blessures, mais sur son sentiment sur les débats. « Je suis déçue de la tournure du procès. J’attendais que La SNCF et RFF reconnaissent leurs responsabilités et la dangerosité du passage à niveau, et j’entends parler de temps de trajet, de productivité… Je n’ai que 17 ans, je ne connais pas toutes les règles du business, mais je me demande qui ils sont pour nous imposer ça. Oui, je suis en colère de voir que tout est une question d’argent aujourd’hui. Ça me rend dingue de savoir que SNCF et RFF auraient pu changer les choses, éviter ça ; mais non, ça n’a jamais été leur priorité. Ils nous disent aujourd’hui que le passage à niveau n’était pas répertorié dangereux, mais ça se voyait qu’il l’était. »
15H20 : « Iris Heraclide : Je pardonne à monsieur Prost ». Iris Heraclide préfère témoigner seule à la barre. Elle a souffert de cervicalgie et d’un grave choc psychologique. L’adolescente a préparé son intervention. Elle lit son texte. « Je vois des cris et du sang. Je vois la mort. Je vois les corps sans vie de mes amis ». Et d'affirmer : «On ne s’est jamais autant aimé après. Si je grandis, c’est par l’amour et la joie que nombre d’entre vous qui êtes ici ont plantés en moi. Je pardonne à monsieur Prost, je pardonne au destin... »
David Héraclide, père d’Iris, est très ému, dit que son cœur est froid « pour surmonter les difficultés que la vie m’a opposées ». « Je suis en colère, je ne suis pas sûr d’avoir la capacité de pardon d'Iris , néanmoins, c’est elle qui a vécu ce moment. Lors de l’accident, je n’étais pas là. Je n’ai pas su protéger ma fille. J’ai changé mes paradigmes, abandonné mon travail. » S’adressant aux responsables de RFF et la SNCF, il évoque leurs responsabilités : « Celles-ci vont au-delà de votre groupe et engagent la vie d’autres. Réfléchissez en retournant dans vos bureaux, est-ce que oui ou non ça vaut le coup ».
14H45 : « Quand j’entends dire que ce passage à niveau n’est pas dangereux, ça me fait bondir ». Johanna Girard témoigne à côté de son père. Elle-même a été très grièvement blessée (3 mois et 2 jours d’ITT). « Peu avant le choc, je vois le train nous arriver dessus, je me suis dit que cela n’était pas possible. Je regarde au fond du car, je vois Benoit, et c’est le trou noir. Après je n’ai pas vraiment de visuel, mais j’ai mal. J’ai vu quelqu’un au niveau de mes pieds, c’était Fanny, une de mes meilleures amies. » Les sanglots dans la voix, Joanna poursuit son récit. Retiens quelques images : « Dans l’ambulance, on voulait me couper mon tee-shirt. Je ne voulais pas car c’était Fanny qui me l’avait offert. J’ai été transportée à l’hôpital en ambulance, puis en hélicoptère à Grenoble ». Le président Deparis complète : « Vous êtes restée 11 jours en réanimation ». « Quand je me suis réveillée, j’ai demandé à mes parents ce qui s’était passé. C’est là qu’ils m’ont dit que certaines personnes étaient parties beaucoup trop tôt. C’étaient mes amies. » « Ensuite, on m’a réappris à marcher et j’ai repris à mi-temps ma scolarité au collège de Margencel en septembre 2008. La rentrée a été très difficile. »
« C’est encore très dur », reprend le père entre des sanglots. « La vie de famille en a pris un sacré coup. On a de la chance d’avoir notre enfant. Mais en pensant aux familles qui ont perdu leur enfant, on est gêné. Je vis avec ça depuis 5 ans, c’est très difficile ». En pleurs, Eric Girard veut juste dire : « que cela ne devait pas arriver. Il faut que les personnes prennent leur responsabilité. Quand j’entends Mme Beaud (directrice régionale SNCF) dire que ce passage à niveau n’est pas dangereux, ça me fait bondir. »
14H30 : Grégoire Laverrière évoque son sentiment de culpabilité. L’audience reprend avec le témoignage de Grégoire Laverrière, un collégien. Il s’est déclaré partie civile tardivement. « On a pris le temps de se décider », explique-t-il. Lui-même a souffert d’une fracture et différents traumatismes lui valant 7 jours d’ITT. Il tient à témoigner. « Il y avait deux petites bandes rivales de garçons dans le car. A l’aller, c’est un groupe qui s’est installé au fond. Pour le retour, je leur ai demandé de nous laisser la banquette. J’ai dit à Yannis et Timothée que c’était notre tour d’y aller. Ça fait 5 ans que je vis avec un sentiment de culpabilité. J’ai le sentiment de les avoir fait aller où ils sont aujourd’hui, et ce d’autant que deux minutes avant l’accident M. Lavy, m’avait demandé de changer de place et aller devant.
Je ne me rappelle pas de la buée sur les vitres, je me retournais pour rester en contact avec Timothée et Yannis, puis j’ai vu une fille qui lève les bras dans tous les sens. J’ai entendu des bruits, j’ai tourné la tête et j’ai vu le train. Je me suis retourné tout le monde allait à l’avant. Yannis, est sorti de son siège, puis c’est le trou noir, je me suis réveillé face contre terre sous la pluie. Comme dans un film de guerre, j’avais une vision floue et j’entendais des cris. J’ai vu une dame devant la maison qui m’appelait. J’avais deux bouts de vitre plantés dans le dos. J’ai appelé mes parents, ils sont arrivés très vite et j’ai été conduit à l’hôpital de Thonon. Je revois M Prost choqué. Je ne voyais ni Timothée, ni Yannis. Un pompier m’a assuré qu’il n’y avait aucun mort. C’est seulement le soir, par les infirmières, que j’ai appris qu’ils étaient morts. Éric Jandin est venu me voir le lendemain ; il m’a demandé, si je lui en voulais. Il avait le regard vide. J’ai compris que sa vie avait complètement changé. »
Concernant le décès d’Eric Jandin, Grégoire le dit sans détour « c’était le pire. J’ai découvert l’info sur internet ». Réponse émue de Me Frédéric Noetinger-Berlioz « je pense qu’il est fier de toi ».
12H40 : « Après, Éric Jandin était comme une marionnette, perdu ». Marie-Thérèse Favre, enseignante SVT, qui était à bord du car témoigne : « Je ne me suis rendue compte de rien. Je discutais avec Éric Jandin sur la suite du programme de la journée compte tenu de la pluie. J’ai entendu le moteur ronfler et j’ai eu l’impression que le car patinait et après c’était le choc ». Sur ces relations avec Éric Jandin dans les jours qui ont suivi, elle le revoit toujours perdu, incapable de reprendre sa classe en charge. « Il était comme une marionnette, il avait besoin d’avoir tous les jours quelqu’un au bout du fil, et un jour quelqu’un n’a pas répondu… »
Concernant l’attitude des enfants, elle note leur rapprochement… et s’effondre. «On a dû faire des erreurs. Il fallait concilier les besoins de ces enfants et notre rôle d’enseignant. C’était très dur durant deux ans ». Elle avoue avoir encore besoin d’un soutien psychologique.
Le procureur Steinmetz cherche à savoir si Éric Jandin s’est levé dans le car, ce qui aurait pu gêner la vision du chauffeur de car. Réponse tranchée de Marie-Thérèse Favre « il ne s’est pas levé ».
11H45 : « Les enfants n’ont pas vu la mort arriver ». Béatrice François, professeur d’EPS, est appelée à la barre, sa voix est nouée par l’émotion. Blessée, elle a porté 15 jours durant une minerve. Sur les faits, elle a rejoint le groupe en début d’après-midi. Elle évoque les instants en amont du choc. Sans comprendre, elle suit la voix de son mari qui ordonne de passer à l’avant. Les souvenirs sont douloureux, « Je vois Tom, je comprends qu’il est mort. Là, je bascule, je suis un zombie, je vais de corps en corps, je ne vois plus que les corps. J’avance dehors, je vois Yannis, il a sa capuche sur la tête, je n’ose pas, j’ai peur de ce que je peux voir. Puis, je vois Linda, Léa». Aux questions du président, elle raconte l’après-accident : « On essaie de faire une liste des enfants et arrive un gendarme qui demande le responsable. Éric Jandin était à côté de moi. J’ai senti qu’il prenait la responsabilité seul. On me demande ensuite de reconnaître Yannis, je n’y arrive pas. Ensuite, je suis prise en charge ». À propos d’Eric Jandin, elle parle de sa fragilité après l’accident, de son incapacité à s’en sortir et de sa culpabilité à elle de ne pas avoir pu l’aider. Puis à la question de Me Dreyfus, elle répond douloureusement: « oui, je pense que les enfants n’ont pas vu la mort arriver ». A l’adresse de RFF et la SNCF, elle demande de l’humanité: « Qu’ils nous écoutent. Que soit pris en compte le suicide d’Eric et que sa fille lui pardonne ».
10H20 : « Ma fille est toujours marquée ». Anima Zianai Salah Bey et sa maman s’avancent à la barre. La jeune victime a été blessée à la tête, a relevé d’une ITT de 10 jours et a subi un grave choc psychologique. « J’étais en train de rigoler avec mes copains derrière moi, je me souviens de la barrière qui tapait contre la vitre, puis de la prof qui hurlait : tous devant, et quelque chose qui arrivait sur la droite. Ensuite, c’est le trou noir. Quand je me suis réveillée; j’ai regardé vers l’arrière, quelqu’un sautait, j’ai suivi. Le professeur Éric Jandin m’a empêché de regarder sur la gauche, puis ma prof de gym m’a accompagnée jusqu’à la maison.»
La maman évoque les faits. « L’excursion avait été reportée. Du coup, j’avais zappé qu’elle aurait lieu. À 14h, j’ai reçu un appel. On m’a dit : votre fille a reçu un choc sur la tête, mais elle est vivante. Avec mon mari, on s’est rendu sur les lieux de l’accident. » Sur place, ce sera pour eux une longue l’attente derrière les barrières de sécurité, jusqu’au moment, plus d’une heure après,où le couple apprend que sa fille a été transférée à Annemasse. « Le soir, on savait qu’il y avait des décès. J’ai rencontré Éric Jandin, je lui ai répété que ce n’était pas sa faute. » Sur la suite, la maman témoigne : « Anima était triste en permanence, renfermée sur elle-même. Un an et demi plus tard, on s’en est à peu près sorti. Elle se destinait à la chirurgie. Aujourd’hui, elle tremble toujours et ne pourra pas faire ce métier. Mais cela n’a pas de commune mesure avec les autres enfants décédés.. »
11 HEURES : François Georges : « Un môme n’a pas de prix ». François Georges répond aux avocats. « Il n’est pas courant de perdre 4 ou 5 camarades dans une classe ? Quel peut être le ressenti des enfants ? » interroge Me Noetinger-Berlioz . « C’est tout simplement terrible.» Le témoin parle de la maturité aussitôt acquise par les enfants. «Avant l’accident, c’étaient des enfants ; après, des adultes. » François Georges évoque ensuite le passage à niveau. « Il était connu comme dangereux. Quand on voit ce dos-d’âne, cette absence de visibilité avec le virage en épingle à cheveux et encore la priorité… c’est évident. L’ancien ministre des transports, Dominique Bussereau, a fait un constat simple à propos de ce passage à niveau, disant : ce site, s’il n’était pas classé préoccupant, il était très particulier. » Le CPE du collège de Margencel s’adresse encore aux représentants de RFF et de la SNCF, « pour les parents, pour la dignité, il faut reconnaître qu’il y avait problème ». La voix pleine d'une colère à peine contenue, il lance: « Pourquoi une grande administration ne pourrait-elle pas faire preuve de dignité et de courage. On admet et on accepte et on va de l’avant pour que de telles choses ne se reproduisent pas. La vie humaine n’a pas de prix. Dans les yeux d’un môme, il n’y a pas de barrières. Un môme n’a pas de prix »
10H40 : Hommage à Éric Jandin Georges François, CPE au collège de Margencel, s’avance à la barre et revient, avec autant de dignité que de douleur, sur les faits et avant tout donne lecture du texte écrit en hommage à Éric Jandin pour le jour de son enterrement. En exergue, une question à l’adresse du défunt : « Pourquoi ajouter un drame à un nouveau drame ? »
« Vous étiez au milieu du car », interroge le président Deparis. «Oui, plutôt sur la gauche. Mais je n’ai rien vu. Je regardais les élèves. Il y avait une excellente ambiance ». Dans le car, il se souvient de la buée sur les vitres, puis la barrière qui frotte contre la vitre à gauche. « Ça m’a surpris ; mais bon, je ne pensais pas au pire. Puis, j’ai perçu que la barrière n’avançait plus et j’ai compris, le car était arrêté sur un passage à niveau. J’ai hurlé aux enfants d’aller à l’avant. » Après, c’est la vision d’horreur avec des enfants blessés hurlant et les enfants morts. Il livre des photographies : «Je me suis occupé d’un blessé, J’étais près de Johanna. Je ne voulais pas la bouger, elle était disloquée. Après, j’ai constaté la montée en puissance de secours, j’étais impressionné. J’ai accueilli les parents. Je garde des images pour toujours, la petite Mathilde, pâle. Et puis, avec Éric Jandin, on a identifié les cinq des six corps alignés dans le local. Yannis a lui été reconnu par son papa. » « Ensuite, notre obsession était de revoir les petits rassemblés dans une chapelle ardente, sauf Léa toujours à Genève. On voulait être avec les petits qui n’étaient plus vivants. Le lendemain, je suis allé au-devant des autres enfants pour leur parler, leur expliquer. » Georges François évoque la suite, des geste de solidarité, le projet de créer une association «moi, ça m’a aidé ».
10H10 : Marc-Laurent Lavy décrit une scène de guerre. À la barre Marc-Laurent Lavy, professeur installé au fond du car commente : « Il y avait un peu de chahut à l’arrière du car, j’avais décidé de m’y installer ». Au moment du franchissement, il est donc à l’arrière du car, son témoignage est très attendu. « Le chauffeur redémarre et les lumières s’allument dans la seconde qui suit. Selon ma position, je vois les lumières côté droit. À mon avis, le chauffeur ne pouvait plus voir le feu de droite, mais celui de gauche, je pense qu’il pouvait le voir. Je me suis levé dès que la barrière s’est abaissée, et j'ai poussé les enfants à l’avant. Pour moi, quand le chauffeur a redémarré après le passage du 4x4, le car avançait poussivement ». Il affirme au juge : « mes souvenirs sont très clairs ». « Après l’accident, j’ai croisé le regard du chauffeur alors qu’il portait secours à une enfant, il avait le regard vide, comme un mort. » Plus généralement, le témoin le dit franchement : « Aujourd’hui dans ma vie, il y a un avant et après 2 juin 2008. Je ne peux plus faire de sortie scolaire. » Et d’insister encore : « Je suis certain que le chauffeur n’a pas grillé le feu rouge. Il était très prudent ».
« Ce que vous avez vu, les enfants l’ont vu ? » relève Me Noetinger-Berlioz pour les parties civiles. "Oui, et je pense qu’à leur âge, c’était encore plus terrible".
10 HEURES : Lecture de la déposition d’Éric Jandin. Le tribunal examine la procédure concernant le professeur qui a mis fin à ses jours consécutivement au drame; « Eric Jandin est décédé 46 jours après l’accident par pendaison », rappelle le président Deparis. Est donnée lecture de sa déposition, sachant que le professeur à l’initiative de cette sortie scolaire était à côté du chauffeur du car. « Je n’ai pas compris ce qui se passait » avait-il témoigné. Après le choc, il avait notifié : « quelque chose avait percuté le car. Concernant les signaux, il ne les a pas perçus, préoccupé par l’organisation de la sortie ».
9H50 : Pourquoi ne pas avoir modifier le platelage ? Le président Deparis interroge Josiane Beaud, directrice régionale de la SNCF. : « On a du mal à comprendre pourquoi ne pas avoir modifié le platelage, travaux estimés à 20000 euros, et préféré attendre la suppression du passage à niveau ? On cherche à comprendre le choix fait entre quelque chose qui était facile à faire et pas cher et une opération compliquée et plus longue ». Josiane Beaud n’a pas apporté de réponse.
Représentant de RFF, Anne Lambusson revient, elle, sur les compétences de chacun des établissements publics et du responsable de la voirie, c’est-à-dire, sans le nommer, le Conseil général. En filigrane, les responsabilités de chacun.
9H40 : Le chauffeur du car : « Oui je suis responsable, j’étais au volant, mais j’ai l’impression d’être tombé dans un piège... ». Le président Deparis entend inviter les trois prévenus à s’exprimer. « Jean-Jacques Prost, après 48 heures de repos, relève le président, le tribunal a bien entendu qu’il y avait 2 raisons qui auraient permis d’éviter l’accident : Les deux arrêts. Avez-vous d’autres choses à exprimer. Sans question, tout simplement ». M Prost toujours très ému est un peu désarçonné par l’invitation, puis se livre plus complètement. « J’étais là pour répondre aux questions des victimes et avocats. Quand je vois les vidéos et photos, ça ne rend pas la même chose qu’au volant. C’est vrai, je me suis senti piégé. Oui, on aurait pu éviter le drame. » Il l’affirme, il n’a pas pris de risque pour franchir le passage à niveau. « On est obligé de prendre deux fois plus de précaution avec un véhicule dont on n’a pas l’habitude. Le 2 juin, j’ai essayé de faire au mieux, mais finalement et contrairement au matin où je suis passé tranquillement, là ce fut l’inverse. Je ne m’attendais pas à ce que le car ne passe pas. Ma responsabilité est engagée, mais je n’ai pas voulu en arriver là. J’ai voulu bien faire, laisser passer le 4x4 pour franchir ensuite tranquillement le passage à niveau. Après on peut dire et si, et si… C’est terrible. C’étaient mes enfants, ils m’appelaient JJ. Pour moi, c’est un échec total. C’était pas voulu, vivre avec ça, c’est terrible. Il y a des images qui ne me quitteront jamais. Oui, je suis responsable, c’est moi qui était au volant, mais j’ai l’impression d’être tombé dans un piège ».
9H22 : Le tribunal a délibéré, il y aura un transport de justice sur les lieux de l’accident. Il aura lieu mercredi de 11 heures 15 à 12 heures 45.9H20 :Transport sur les lieux de l'accident. Le Bâtonnier Dreyfus pour l’association "Sourires des anges" qui réunit les familles, demande que le transport sur les lieux de l’accident soit maintenu. Certains parents considèrent le déplacement comme utile « pour la manifestation de la vérité ». Pour le conseil de l’association, il est important pour les magistrats d’aller sur place pour être consécutivement au plus près de la vérité judiciaire. Les avocats des autres parties civiles n’ont pas formé d’opposition. Le Procureur Steinmetz a en revanche noté que le déplacement ne pourrait pas livrer toutes les informations en l’absence des véhicules. Même sentiment pour l’avocat de RFF, Me Dalmasso, qui craint que ce déplacement prenne in fine davantage la forme d’un pèlerinage. Le président Deparis a suspendu l’audience.
9H05 : L’audience est ouverte. Cette quatrième journée du procès de l’accident d’Allinges, qui a coûté la vie à sept collégiens dans la collision de leur bus avec un TER sur le passage à niveau de Mésinges le 2 juin 2008, est consacrée aux témoignages des rescapés et aux familles. Une journée qui s’annonce émotionnellement éprouvante.