J'ai déjà, sur des trottoirs, failli être projeté à terre une bonne dizaine de fois en 10 ans, je me sens donc légitime à me méfier des vélos et de leurs maîtres. Dernière anecdote en date : il y a un an je me trouve dans un cabinet de kinés et dans la salle d'attente je vois une dame blessée, âgée sans doute de plus de 85 ans : les kinés du cabinet lui avaient diagnostiqué un poignet brisé (le poignet et la main oscillaient par rapport au bras). Grâce aux ambulanciers qui venaient au cabinet ils étaient en train d'organiser un transfert vers les urgences de l'hôpital. Elle était choquée, mais comme cela venait de lui arriver elle ne souffrait pas encore mais n'allait pas tarder à ressentir la douleur. Chez des personnes très âgées un tel événement peut entraîner des complications très graves quand l'équilibre fragile de l'organisme est perturbé. Cela s'était passé 5 ou 10 minutes avant, au pied de l'immeuble où est le cabinet, dans un des carrefours les plus encombrés de l'hypercentre d'Angers. Pour faire un raccourci et éviter un feu un cycliste était passé en force sous le nez de la dame, sur le trottoir : elle avait pris peur et elle était tombée au sol. Le ou la cycliste s'était barré sur le champ, la laissant seule. Il va de soi que c'est à la vieille dame que va ma sympathie.
D'une façon générale les cyclistes sont les plus sans-gêne de la voirie, tous modes confondus, et comme il se permettent tout il est prudent de se méfier d'eux, ce qui ne les rend pas sympathiques. À cause d'eux l'espace de sécurité dévolu aux piétons a fondu comme neige au soleil, aujourd'hui il n'est pas sans risque d'emprunter un trottoir : l'insouciance et la promenade, c'est fini. Laisser un enfant gambader sur un trottoir n'est pas prudent.
Dans les trams on voit couramment des vélos même en dehors des heures autorisées et au-delà du nombre accepté. Évidemment les portes deviennent d'un accès malaisé et quand il y a une très forte affluence les chaînes, pédaliers, pignons, freins, guidons, etc. deviennent très agressifs à cause de la proximité, sans parler du cambouis…
C'est le résultat du clientélisme suscité par certaines classes sociales qui entendent redistribuer l'espace urbain à leur seul profit, dans un esprit égocentrique et dogmatique. À l'inverse, d'autres catégories d'usagers sont complètement négligées. Pour les dogmes, ne parlons même pas des sévères remises en ordre concernant les sapins de Noël, les fêtes médiévales et le Tour de France, ni de la randonnée rennaise à poil et à vélo…
Y ayant eu naguère de la famille je suis allé régulièrement à Amsterdam pendant quelques années, je l'avais déjà connue en 1977. Si je cite cette ville c'est parce que la bible amstellodamoise a servi a justifier, ici ou ailleurs, des aménagements aberrants. Là-bas les cyclistes intimident couramment les piétons pour les forcer à leur laisser la place et ils ne tiennent aucun compte des feux tricolores. Parmi ce qu'on peut y trouver de plus dingue : des bars roulants (les beerbikes) pour 6 à 18 buveurs-pédaleurs et un cycliste conducteur-pédaleur : dans des rues étroites, sinueuses, et noires de monde comme la Zeedijk ils se lancent à tout berzingue pour faire déguerpir les piétons et avoir la chaussée pour eux. Bien sûr c'est très dangereux car ils n'ont qu'une capacité de freinage réduite.
Cela fait près de cinquante ans que je m'intéresse à la question et j'ai peu à peu acquis la certitude que les mouvements écologiques et environnementalistes, s'ils évoquent constamment le développement des transports en commun qu'ils disent promouvoir, leur sont en réalité très hostiles. En individualistes ils ne voient de solution que le vélo, quand la distance est courte, et la bagnole, quand il faut se fatiguer. Cet individualisme contribue même à l'abandon progressif de la marche à pied. Dans cette optique le piéton est vu comme un traître écologique qui ne veut pas faire le choix du vélo. Vers 1980 j'avais acheté le programme
« Le mouvement vélorutionnaire », publié par la
Fédération des usagers des transports et les
Amis de la Terre ; c'était un document de fond qui était très intéressant (
https://www.leslibraires.fr/livre/15615399-assez-roule-comme-ca-on-reflechit-element--federation-des-usagers-des-transports-de-paris--pauvert-reedition-numerique-fenixx). Je ne l'ai pas relu depuis longtemps mais il me semble bien que les solutions proposées alors étaient autrement plus pratiques que celles que l'on voit mises en œuvre de nos jours, les autres usagers y étaient aussi bien plus respectés.
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P. S. :
– l'usage du vélo dans les trams correspond sans doute dans bien des cas à celui du « dernier kilomètre ». Cette distance terminale peut être bien moindre mais de plus en plus de gens deviennent progressivement inaptes à la marche à pied, même pour quelques centaines de mètres. C'est une aberration anti-écologique car sur des distances aussi faibles on a recours de plus à un véhicule, qui peut même être une auto.
– dans la plupart des tramways Citadis, à la différence des trams strasbourgeois, les portes d'extrémité sont simples et la plateforme correspondante est très réduite. Les vélos sont donc stockés devant les portes doubles, plus vers le milieu de la caisse.
– Je ne cite rien de Strasbourg, bien que je connaisse cette ville et l'apprécie, mais je n'y suis pas revenu depuis 35 ans. Reconnaissons que Strasbourg est une ville à la voirie surdimensionnée, notamment dans les quartiers allemands. Cela aide bien les choses et rend la ville assez atypique. De surcroît elle est plate.
– Mes propos sont à contre-courant de ce qu'on lit majoritairement dans la presse, toutefois ces critiques que je fais à un monde prétendu idyllique et rationnel, on les entend de plus en plus dans les médias.
– Les Provos, groupuscule qui a transformé Amsterdam vers 1965-1970, n'avaient pas prévu ça :
https://www.lemonde.fr/mobilite/article/2012/11/22/amsterdam-depassee-par-le-succes-du-velo_1792570_1653095.html